En route pour l'Espagne, Édick Mazarian quitte Paris et toutes ses attaches. Ses années d'apprentissage défilent pendant ce trajet qui ressemble à une fuite. Il évoque celles et ceux qui l'ont fait ce qu'il est : sa mère, Alicia, tendre et possessive, qui a éveillé sa vocation de pianiste ; Cécile, l'amie d'enfance, la complice ; Birgit, la séductrice idéalisée ; Maloni, l'homme d'affaires cynique ; Cyril, enfin, beau, fragile et violent, qui va l'entraîner dans le drame. Avec eux, il a parcouru les zigzags de l'itinéraire tourmenté d'un jeune homme en quête de lui-même.
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"...les moments où toi et moi refaisions le monde le long des quais..." |
Incipit Je me regarde dans la glace. Vivant. Moi je suis vivant. Pas ce tas de cendres. Quand je me réveillais avant lui, je le regardais dormir, un de ses bras passé sous l'oreiller, l'autre barrant ma poitrine. Je ne bougeais pas. J'aimais la contrainte de cet enfermement. Je vais partir. Tout ce que j'ai cru important ne comptait pas. Je me suis trompé, sur toute la ligne. Ma mère assise près de moi devant le piano. Le rire de Cécile le long des quais. Le satin de la peau d'Ophélie. Et même lui. Rien de tout ça n'était vital pour moi puisque ce matin je me regarde exister en les ayant tous perdus. Je me sens respirer, mes muscles se gonflent, mes doigts se déplient et se tendent. Et je ne crois pas avoir envie de disparaître. On dira que je fuis. Lâche, insensible, ingrat, quoi encore ? Si je me retourne, je vais être tiré en arrière, ramené à la souffrance. Je ne veux plus avoir mal. Ils ne m'auront plus, ni elles, ni lui. J'ai de quoi m'occuper. L'argent : du solide, du neutre. Je ne me donnerai plus. À personne. Je resterai seul. Je ne veux plus de liens, ces liens qui entravent, empêchent de respirer. Je me suffis à moi-même. Ils me menaient où ils voulaient, mais leurs volontés divergeaient : j'aurais pu finir écartelé. Ils ne m'auront plus. Tant pis pour eux - ou tant mieux, parce que je ne suis pas un cadeau ! Mes bagages sont prêts. Pas de mot sur la table, pas d'explication. Quand je serai arrivé, un coup de fil à ma mère pour qu'elle puisse commencer à m'attendre. Un dernier réflexe de fils modèle, de petit garçon sage et attentionné. Pauvre Alicia ! Je sais. J'ai tout gâché. Je ne laisse que ces visages mornes ou irrités. Et lui qui n'a plus de visage. Désormais, autour de moi, comme Maloni, et mieux que lui, des figurants, des comparses, des utilitaires, oui, mais plus de partenaires attitrés, et surtout, plus d' alter ego . Égoïste, ou plutôt seul. Je ne veux plus m'intéresser qu'à moi-même, puisque aussi bien, le monde n'existe que par moi. Quand je ne serai plus là, il n'y aura plus de monde. Ou alors celui des autres, étranger, incommunicable, sans intérêt. J'ai essayé de leur plaire, à tous, pour qu'ils m'aiment. Ils ont voulu me façonner, m'enfermer. Eux non plus n'ont pas de quoi être fiers, même lui qui n'a trouvé rien de mieux que de me condamner à le perdre. « Mon Édick » ! Ils m'aimaient, les vampires, chacun à sa façon. Ils s'appropriaient mes désirs, mes raisons d'être. Et pour quelle conclusion ! Quand je serai arrivé, je regarderai les nouveaux « autres » avec cette distance que j'aurais toujours dû maintenir. Interdit d'entrer. Domaine strictement privé. Autour de moi, il y aura des barbelés hérissés pour me protéger de la tendresse humaine, de leurs yeux humides, de leurs mains toujours prêtes à serrer, à retenir. Je veux rester seul. Il me faut une carapace, aussi dure que possible au lieu de cette peau sensible et vulnérable. Je ne veux plus ni espoirs ni souffrances. J'aurai droit aux plaisirs sans ombres, sans résonances sournoises : des corps souples et complaisants, une voiture nerveuse, un peu de musique, choisie avec prudence. Je serai fort, parce que je ne permettrai plus à rien ni à personne de m'atteindre. Cette route, ces quelques étapes : le temps de laisser mourir les vagues du passé, qui étalent leur écume sale, qui me recouvrent, qui me noient. Je sors de l'eau, je reprends mon souffle. Quand j'arriverai, j'en aurai fini. |
![]() "...le jeune David de Donatello qu'il a admiré à Florence..." |